Extraits du journal de Richard Durn

Le 23 février 1998

Je pense que c'est bien la date.

Cela fait quatre jours que je suis au Montenegro avec le convoi humanitaire Solidarité Kosovo. Je n'ai tenu aucun journal concernant ce voyage. Je pense que c'est dû au fait que je me rends parfaitement compte que je n'ai rien à faire ici, ni au Kosovo, si nous arrivons à l'atteindre.

Je n'ai plus le choix. Il faut aller jusqu'au bout du convoi. Je n'y fais pourtant rien. Je ne suis pas chauffeur, je n'ai pas des tonnes de vivres et de médicaments avec moi. Je me retrouve dans la situation d'un bouchon flottant balancé au gré des vagues et qui espère que quelque chose de fort va lui arriver et que cela changera des choses dans sa vie.

Comme d'habitude, j'ai fui en n'ayant ni projet, ni enthousiasme et motivation réels, ni courage de prendre un engagement et de l'atteindre. Je me suis isolé à l'intérieur du groupe et les deux jeunes femmes kosovares avec lesquelles j'ai pu me lier n'ont été qu'une toute petite bouffée d'oxygène.

Plus le temps passe, plus je m'enfonce. Je ne m'exprime plus et tout se décide sans moi, sans ma participation.

J'ai 30 ans et je suis vraiment devenu dingue et faible.

Je vois beaucoup d'enfants dans la région d'Ulcinj. Cela me met mal à l'aise car je sens que vivre sans donner la vie et éduquer quelqu'un pour qu'il puisse devenir adulte, affronter et aimer la vie, cela ne vaut pas le coup. Or je suis trop à côté de la plaque pour fonder une famille. J'essaierai d'écrire quelque chose de plus cohérent et de plus intelligent la prochaine dois. J'espère que cela me détournera de mes idées morbides et de mon mutisme.

Je me mets à réécrire pour chasser l'ennui et la peur. Je le fais en espérant que cela effacera ma solitude et le sentiment du vide. J'avais souvent fait cela auparavant et je n'avais pas été jusqu'au bout. Je m'étais arrêté.

J'ai relu les quelques passages que j'avais écrits il y a plusieurs années de cela. C'est affligeant de constater à quel point rien n'a changé depuis.


Le 02 mai 1998

Voilà presqu'une semaine que je suis revenu d'Israël. J'ai un goût amer dans la bouche et dans mon cœur.

Je n'ai pas eu assez de contact avec les Israéliens et les Palestiniens. Cette terre n'est pas la mienne. J'ai maintenant l'intime conviction de ne pas croire en l'existence de Dieu et de la vie après la mort.

Il m'arrivera souvent dans le futur de me mettre à prier à ma façon parce que j'aurai peur et que je me ferai l'illusion d'être écouté et d'être racheté parce que je reconnaîtrai que je me suis trompé et que j'ai échoué. Mais c'est bidon.

Je n'arrive pas à écrire quelque chose de construit et d'élaboré. Alors, je vais écrire tout ce qui me passe par la tête.

J'attendais énormément de ce second voyage en Israël. Je voulais savoir comment les gens de toutes conditions sociales, de religions différentes, de patries opposées envisageaient leur futur. Je voulais connaître et entendre des histoires vécues par tous ces gens ayant à supporter un climat de tension permanente, ayant vécu l'occupation, le terrorisme, le service militaire dur et contraignant, l'installation sur une nouvelle terre. Ces faits que je viens d'énumérer concernent aussi bien les Israéliens que les Palestiniens. J'aurais voulu pouvoir discuter, me disputer, polémiquer avec des gens de ces deux peuples et, qui sait, me faire des amis parmi ces gens.

Etant donné que je n'ai rien, que je n'ai plus de vie sociale, cela m'a fait du bien et cela va me faire un bon souvenir d'avoir été à nouveau accueilli par des Palestiniens à Hébron. Bien sûr, ils sont très croyants et très pratiquants vis-à-vis de l'islam. Ils mènent alors une vie que je ne peux pas approuver. Je n'arrive pas, et je ne le veux pas d'ailleurs, à considérer la vie acceptable lorsqu'elle est autant imprégnée par la religion. Je n'aime pas voir les femmes porter des hidjat. Je n'aime pas les règles sociales liées à l'islam en matière de mœurs, de la place de la femme dans la société, des relations qui peuvent se créer alors entre les deux sexes. Je ne vois la femme que comme un individu mineur et infériorisé dans ce type de société. Cela me met mal à l'aise parce que je sais les conséquences que cela peut avoir sur les relations hommes-femmes. C'est-à-dire le fait de rester pur sexuellement pour garder l'honneur de la famille, la frustration liée à ce genre de relation, l'hypocrisie, car le désir et la convoitise sont là. J'ai revu ces Palestiniens qui m'ont donné à manger, qui m'encourageaient à me convertir, qui se voulaient amicaux avec moi. Et en échange, qu'avais-je à leur apporter. Rien. Juste ma compagnie embarrassée et gênée. Ils ne parlaient pas l'anglais et je ne sais pas parler l'arabe.

Je vais leur envoyer les photos que j'ai prises d'eux et j'espère pouvoir entretenir une correspondance avec celui qui était de Gaza et qui vivait à Hébron. Il sait parler anglais.

En commençant à écrire, je pensais que je saurais après coup raconter ce que j'ai vécu durant ces quinze jours là-bas. Je n'y arrive pas. Je dois pourtant le faire pour laisser une petite trace de la vie plutôt misérable que je mène. Je le dois parce que je ne veux pas me retrouver sans mémoire. J'écris parce que j'espère me prouver que je suis encore en vie même si objectivement tout prouve le contraire. Bien entendu, lorsque je parle de vie, je ne parle pas uniquement de vie biologique.

Il faut donc impérativement que, dans les jours qui suivent, je me mette à écrire le récit de ce voyage. Même si je sais que cela va me faire du mal parce que j'ai eu beaucoup de déceptions et de frustrations et parce que je ne sais pas me débrouiller pour savoir réellement voyager. Pourtant, ce pays, comme il est magnifique. Il est plein de haine, de peur, de violence et cela même dans un état latent. Mais c'est ce qui fait le charme de cette terre également. Evidemment, cela m'est facile de dire cela alors que je n'ai pas souffert physiquement et que je n'ai pas perdu d'être cher (attentat, passage à tabac, emprisonnement arbitraire…).

Je vais essayer de parler de tout ce que j'ai ressenti et de tout ce dont je pense être passé à côté. J'aurais dû tenir des notes quotidiennes à cette époque mais je ne l'ai pas fait parce que je me sentais découragé et que je pensais n'avoir rien à dire. C'est toujours le cas. Mais si je n'ai rien à dire, je veux savoir m'exprimer aussi sur ce sujet pour ne plus accepter ce fait qu'il ne se passe rien dans ma vie. Je veux démonter le mécanisme de l'autodestruction, de l'ennui, de la peur et de la solitude.

Je dois retrouver des endroits comme le Néguev où je me suis senti si bien.

Samedi 2 mai 5 h 45, j'arrête d'écrire et espère pouvoir tenir ma promesse de reprendre.


Le 9 février 1999

La situation n'a cessé de s'empirer depuis plus de neuf mois.

Je suis de plus isolé et je mène des actions complètement incohérentes.

Je suis au chômage et je ne sais toujours pas dans quel domaine je veux travailler. J'ai peur d'entrer dans un monde professionnel où je me ferai chier et où je n'évoluerai pas. Je suis le mec qui se baise la gueule tout seul et qui se retrouve toujours dans un cul de basse-fosse. Je ne sais vraiment rien faire et je suis de plus en plus déglingué physiquement.

J'ai mal en marchant et je ne peux pas me faire à l'idée que mon genou droit est si abîmé. Deux toubibs disent que j'ai le ligament croisé antérieur sectionné.

Me faire opérer ? Je ne sais pas si j'en ai envie car je ne sais pas si je vais tenir le coup du point de vue psychologique. Me faire opérer, c'est des mois et des mois avant la récupération totale et le risque est grand que cela ne marche pas. Je ne veux pas finir comme un boiteux, comme un malade.

Je veux que mon corps tienne le coup. J'ai la possibilité de partir au Kosovo. Roland Bourgeois m'a invité à participer à un convoi. Il n'y a aucune garantie d'y parvenir. Mais au minimum, cela peut marcher pour aider des réfugiés au Montenegro. J'ai envie d'y aller pour tuer l'ennui, pour avoir le sentiment de me sentir encore vivant, pour rompre le conformisme, pour rompre l'indifférence et me sentir encore jouir. Ouais, c'est écœurant de profiter du malheur des autres pour avoir une bonne image de soi, pour se donner l'illusion d'être utile et de ne pas être à tourner en rond comme un poisson rouge dans un aquarium.

Mais je n'ai plus rien. J'en ai marre d'avoir dans la tête, toujours cette phrase qui revient perpétuellement : "Je n'ai pas vécu, je n'ai rien vécu à 30 ans." J'en ai marre de rester des heures à écouter la radio pour ne pas me sentir coupé du monde et de rester certains soirs scotché devant la télévision alors que je sais que c'est une machine à décérébrer et à abrutir les gens et les esprits.

J'en ai marre d'attendre désespérément une lettre ou un coup de téléphone alors que je n'existe plus pour personne, que je suis oublié de tous parce que je n'ai pas de projet dans ma vie et parce que j'ai peur d'affronter la vie et de m'y plonger. J'en ai marre de faire une chose et son contraire une demi-heure plus tard.

J'en ai marre d'entreprendre quelque chose et de me rendre compte que je me suis fourvoyé et que je suis cassé, que rien ne me plaît.

J'en ai marre des cauchemars de mort, d'autodestruction.

Je me sens vide intellectuellement, affectivement, culturellement.

Comment en suis-je arrivé à être dans cette situation de dénuement et d'abruti ? Je n'ai jamais su me battre. Je n'ai jamais su apprendre à m'aimer un peu (sans être nombriliste et égocentrique). Je me mets toujours moi-même mes propres freins. Je tends toujours les perches et les bâtons pour me faire flageller par les autres.

Marre d'être le dépressif et le type qui fait pitié dans le meilleur des cas de service.

Je suis fatigué de voir mon corps et mon visage vieillir et de constater que le temps passe et que je n'ai rien.

Je n'ai même plus faim de la vie.

Je ne veux plus être le mec qui se fait arnaquer et qui se fait toujours baiser.

Je ne peux plus être au bas de l'échelle et voir tous les gens que j'ai côtoyés progresser dans la vie (mariage, vie en couple, indépendance financière, rupture ombilicale avec la famille, carrière professionnelle et manœuvres pour y progresser).

Je suis complètement à bout. Je me dégoûte de ne pas savoir diriger et maîtriser ma vie. Je me dégoûte pour ne pas savoir me faire respecter. Je me dégoûte pour être toujours silencieux et de n'avoir jamais rien d'important à dire. Personne ne m'entend ; personne ne m'écoute. Je n'existe plus socialement. Je suis dans un monde imaginaire et je ne fais que des choses incohérentes dans ma vie de merde.

J'en ai marre de me sentir coupable de vivre. J'en ai marre de me sentir malade et toujours bloqué.

Actuellement, je me sens bloqué à cause de ce genou blessé.

Je me sens bloqué parce que je n'ai pas de femme.

Je me sens bloqué parce que je n'ai pas appris à être indispensable pour un groupe de personnes.

Je suis foutu parce que je n'ai plus de repères sociaux et affectifs.

Je ne suis plus qu'un numéro d'immatriculation dont tout le monde se fout.

J'ai un bandeau sur les yeux et je tourne en rond dans une pièce en me cognant toutes les secondes à un meuble ou contre un mur.

Je ne veux pas crever sans avoir beaucoup baisé. Je ne veux pas crever sans avoir été amoureux et sans qu'une femme ait été amoureuse de moi, même si je suis faible, déglingué et immature et que j'ai déjà plus de 30 ans.

Je ne veux pas crever sans avoir connu du monde à l'étranger, sans avoir eu un seul, même s'il n'y en a qu'un, ami.

Je ne veux pas crever sans avoir connu des choses belles et rares dans le monde. Par exemple, certains paysages, un lieu où je me sentirais bien (désert, montagne, milieu équatorial, tropical), nager près des baleines, des dauphins.

J'en ai marre de ne pas avoir le courage de péter les plombs dans le bon sens du terme. C'est-à-dire de me révolter contre l'injustice, la solitude, contre l'ennui, contre l'ignorance et la misère.

Depuis des mois, les idées de carnage et de mort sont dans ma tête. Je ne veux plus être soumis. Je ne veux plus manquer d'audace et me planter. Je ne veux plus être dans la désocialisation et la médiocrité, sinon je n'ai plus qu'à crever pour de bon mais ce ne sera pas tout seul. Parce que j'en ai marre d'être le dernier et celui qui se fait enculer. Alors pas dans la mort aussi.

Toute ma vie, je n'ai jamais su m'affirmer. Qu'est-ce qui se passe maintenant ? Je n'ai rien. Je ne suis respecté et aimé de personne. Je perds tout respect de moi-même et tout espoir. Je ne veux plus tout perdre ou alors je bousille ceux qui m'ont fait souffrir. Pourquoi devrai-je me détruire et souffrir seul comme un con ? Même si on me maudira, si on me prendra pour un monstre, je ne me sentirai plus floué et humilié.

J'ai envie de vivre. J'ai envie d'aimer. Je veux grandir, je veux me battre et trouver un combat auquel je crois même si je perds.

Même si tout semble être inamovible et désespéré, je veux résister et essayer d'améliorer le monde et ma vie. Pourquoi devrais-je passer à côté de tout dans la vie. Pourquoi je n'arriverais pas à connaître quelque chose. Je dois au moins essayer de vivre quelque chose de valable pendant six mois ou un an. Après ? Après, si rien ne change, si je passe encore à côté de tout comme ces dix dernières années, alors ciao parce que le temps qui défile et qui est vide, cela ne vaut pas le coup pour moi de vivre jusqu'à 35 ans, 40, voire plus si c'est pour ne rien avoir.

Ma mère ne peut rien pour moi et nous nous détruisons mutuellement. Je n'ai plus de famille, plus de référents, plus d'idéal et je n'ai toujours pas trouvé mon identité à 30 ans.

Tout ce que je peux trouver, c'est un peu d'émotions qui me fassent encore bander et qui fassent que j'ai, même si ce n'est qu'une illusion, le sentiment d'être libre et responsable.

FIN

A quand le prochain délire et est-ce que j'aurai quelque chose d'intéressant à dire ? Je n'en sais rien.


Le 10 février 1999

J'aurais dû fournir un chèque de 1 400 francs pour les droits d'inscription à la formation de l'ENS. Je ne veux pas le faire. J'en ai marre d'être un mec arnaqué. C'est moi qui me suis mis dans la merde. Je ne sais pas comment argumenter pour dire que je ne paierai pas et pourquoi devrais-je le faire pour un stage que je trouve bidon.

Je suis fatigué de fuir. Je fuis parce que je ne sais pas comment me défendre. Je suis toujours le vaincu. Je m'imagine toujours en train de perdre et j'en ai honte, alors je ne fais rien.

Je commence à avoir des regrets d'avoir abandonné la formation parce que je recommence à rester au lit jusqu'à 11 heures du matin.

Mes journées vont encore être vides. Je suis toujours dans la merde parce que je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. Je n'aime rien et je ne m'aime pas moi-même. Alors comment puis-je progresser dans la vie ?

J'ai honte d'être resté cet été à suivre cette Coupe du monde de merde au lieu de faire un séjour dans le désert ou dans un pays ou un lieu où je pense que j'aurais pu être heureux, ne serait-ce que quelques jours.

Je crève, je deviens paresseux et, dans quelque temps, je vais tomber dans la désocialisation.

Je vais partir dans le convoi humanitaire organisé par Roland en espérant d'une façon latente que soit il se passe un électrochoc et je rencontre des gens qui vont me donner goût à la vie, soit que je crèverai là-bas. Oui, si je me faisais tuer là-bas de n'importe quelle façon, je n'en aurais rien à foutre mais si j'ai envie de vivre et de jouir un peu avant de crever.

Je suis foutu. Je ne veux plus être seul et être un ignorant. Mais, je suis tombé dans la paresse, le dénigrement de moi-même et l'autodestruction de façon trop importante. J'ai aimé discuter pendant une demi-heure lundi soir avec Rogedi Gasmi, un ancien élève lorsque j'étais pion. Il me parlait de son désir de voyager, de ses voyages, de sa façon de se démerder dans la vie, "d'être un caméléon". C'est le cas. Mais je pense que j'ai été encore influencé. Lui, c'est lui. Et moi, c'est moi. Il m'a dit que le monde est vaste mais lui, il a des qualifications. Il a su apprendre à se démerder dans sa jeunesse. Quand nous discutions, il parlait surtout pour se convaincre lui-même. Il avait le goût de vivre et il se démerdera.

Si je ne sais pas ce que je veux dans la vie, si je ne sais pas aller vers les autres et savoir me défendre, si je n'aime rien et que je reste dans mon monde intérieur, alors je peux crever. Je fais un pari stupide. Il faut qu'il se passe quelque chose dans ce voyage humanitaire, ou il n'y a plus rien. Je veux m'arracher de cette maison (de chez ma mère), de cette ville, de cette monotonie, du chaos.

Je crève trop. Hier, j'ai été en consultation à l'hôpital de la Salpêtrière pour mon genou. Le type qui m'a opéré de la cheville ne me fait pas un diagnostic précis. Il y a le ligament croisé antérieur sûrement sectionné mais y toucher sera dangereux. Peut-être, il y a quelque chose au niveau du ménisque interne. Il m'a prescrit de la rééducation. Tant mieux s'il n'y aura pas d'opération ultérieurement, mais je pense que j'aurai mal toute ma vie à ce genou. Un jour, je boiterai pour de bon. Je le refuse. Je ne veux pas me résigner, mais je ne supporte plus l'idée d'être avec cette merde et devoir m'y habituer.

J'en ai marre des idées obsessionnelles. J'en ai marre de ne pas progresser. Je peux être sauvé si je fais des rencontres très fortes et déterminantes, si je refais l'amour, si je fais un tel travail sur moi-même pour croire que j'ai ma place sur terre, que je peux avoir un peu de bonheur et que je ne suis pas un incapable.

Dieu, comme je voudrais arrêter de piétiner et de tourner en rond. Je ne veux plus être aussi peureux et anxieux. Je veux voir si je peux vivre un peu. Tout cela doit cesser. Ou je trouve le goût de vivre, ou je meurs d'un coup sec, mais pas petit à petit comme je le fais.


Le 2 janvier 2002

J'ai relu des choses que j'avais écrites, il y a plusieurs années de cela. C'était assez proche de la réalité. Je veux dire que j'essayais d'être le plus sincère avec moi-même. Mais cela ne m'a pas fait évoluer. Je me suis enfoncé de plus en plus dans la merde et maintenant je suis vraiment un clochard.

Je vais maintenant tenter de fouiller ce qu'il y a de plus profond en moi. Par goût de l'autoflagellation, par piété narcissique et morbide, par ultime instinct de survie pour m'en sortir, par espoir que cela me guérira ? Ou alors est-ce que que je tente à nouveau d'écrire sur ce que je suis et ce que je fais en espérant échapper à l'ennui et au vide ? Je n'en sais rien. En fait, il y a un ensemble de toutes ces raisons me conditionnant à réécrire.

Bien sûr, je sens déjà la trame nombriliste et masturbatoire. Je sens déjà poindre la médiocrité, que ce soit du point de vue du style, de la forme ou que ce soit dans le fond. Mais je ne peux rien y changer car je n'ai rien vécu d'intéressant et parce que (..nion avons…) est devenu rassis et de plus en plus stérile.

J'essaie donc et sans savoir comment je vais orienter ce que j'écris.

Je m'appelle DURN Richard. J'ai plus de 33 ans et je ne sais rien faire dans la vie et de ma vie. Je suis onaniste depuis au moins vingt ans.

Je ne sais plus ce qu'est le corps d'une femme et je n'ai jamais vécu de véritable histoire d'amour.

Je me branle par solitude, par habitude du dégoût de moi-même, par volonté d'oublier le vide de ma vie et sans doute par plaisir. Mais quel sorte de plaisir ai-je véritablement ? Je suis seul, il n'y a aucun échange, aucun mélange de corps et/ou de sentiment, il n'y a que la frustration, le dégoût de moi-même et l'abrutissement qui résultent après cet acte solitaire si écœurant.

J'ai raté mes études et n'ai aucune profession car j'ai peur de travailler et de prendre des responsabilités. Je ne sais pas comment me battre dans le monde du travail, me lier avec les gens sans chercher à m'attacher à eux comme un enfant perdu sans la présence de ses parents.

Tout cela me révoltait et me dégoûtait. Jamais je ne me présentais à mes examens, jmais je n'arrivais à me concentrer jusqu'au bout de mon travail (études ou formation professionnelle à envisager). Je suis donc sans fonction sociale et sans sources de revenus. Je ne suis pas libre ni du point de vue financier ni du point de vue de la qualification professionnelle (intellec…) qui me permettraient de me sentir digne et de construire mes propres projets et ma personnalité.

J'ai laissé volontairement ma santé physique se dégrader car je ne crois plus en la vie et aux choses positives qui peuvent s'y lier. Je ne me suis jamais battu pour conquérir quelque chose dont j'avais envie et qui me rendrait libre et/ou heureux. Je n'ai pas évolué, pas franchi les étapes d'une vie d'homme.

Chaque jour qui passe ne m'amène qu'à une nouvelle phase de régression.

Je (comme d'habitude il n'y a que la première personne du singulier dans cet écrit) suis devenu un légume. Je suis un mort vivant. Le 9 octobre 1999 a été une date importante dans ma vie de lâche et de crétin.

Voyant que je n'ai été pas accepté dans l'école Bioforce pour devenir logisticien humanitaire, que je n'avais ni logement, ni petite amie (je n'avais pas fait l'amour depuis des années, ni pendant les grandes vacances), j'ai renoncé à la vie. J'ai baissé les bras.

Je pouvais suivre la formation pour devenir Conseiller principal d'éducation en Institut universitaire des maîtres, mais pourquoi ? Pour faire un boulot que j'abhorrais si j'avais réussi le concours. Pour devenir un rond-de-cuir fonctionnaire à essayer d'insuffler une morale civique et hypocrite à des adolescents et des gamins cons, violents ou souffrant de l'exclusion et qui avaient compris que les (..dès..) de la vie étaient pipés pour eux, et que tout ce qui compte dans la vie c'est de gagner le maximum d'argent.

J'ai toujours détesté le métier de pion que j'ai fait où j'étais moins que rien et où j'étais humilié et dans lequel j'ai végété.

Tout ceci est à mettre en relation avec le fait que je n'avais aucune vie sexuelle et affective.

Je vivais donc en ayant une image des plus négatives de moi-même et devenait de plus en plus lâche, amer, pessimiste, ayant peur de tout, de tous. Bref, plus aucune confiance en moi-même, plus aucun respect de moi-même (en ai-je eu une fois ?).

J'ai mal et je suis plein de haine mais cette haine ne (..s'extériorise..) pas. Elle est refoulée. Ne s'exprimant pas, je deviens même lâche pour mourir d'une façon propre et digne vis-à-vis de moi-même.

Le conformiste que je suis a besoin de briser des vies, de faire du mal pour au moins une fois dans ma vie avoir le sentiment d'exister. Le goût de la destruction, parce que je me suis toujours vu et vécu comme un moins que rien, doit cette fois se diriger contre les autres parce que je n'ai rien et que je ne suis rien. Pourquoi continuer à faire semblant de vivre ? Je peux juste pendant quelques instants me sentir vivre en tuant.