Extraits des procès-verbaux des trois auditions de Richard Durn

Bureau 414, 4e étage du 36, quai des Orfèvres

Audition par officier de police judiciaire Philippe D. Lors assisté d'un brigadier


Audition du 27 mars, 09h40-10h50

"J'ai été exempté du service militaire, on m'a placé dans la catégorie P5. A l'époque, j'avais déjà fait une tentative de suicide. Je l'ai signalé, et ils ont eu peur. [...] J'ai vécu la plus grande partie à cette adresse. Il m'est arrivé de prendre un logement seul, mais je suis toujours revenu chez ma mère. [...] J'ai également fait une demande de logement HLM en 1998, auprès de la Ville de Nanterre. Cette demande n'a pas abouti, non pas par la décision de la collectivité locale mais parce que j'en ai décidé ainsi. Je ne m'accrochais plus à la vie, j'ai décidé de capituler. C'est à cette époque que je me suis désocialisé. [...] Je suis sans emploi, mais je n'en recherche pas vraiment. J'avais décidé de mourir, je ne me projetais plus dans l'avenir. [...] Il y a longtemps, j'avais envie de transmettre mon savoir et d'être utile à des jeunes. Cependant, j'ai perdu ce goût et ça n'était pas ma place, je n'arrivais pas à transmettre mes connaissances. [...] Ne m'étant jamais donné les moyens pour réussir, j'ai abouti à une fonction d'assisté et de raté social. Ce qui explique en grande partie, mais pas uniquement la nature de mes actes. [...] N'ayant pas pris de revanche sociale, par rapport à la situation de ma mère (femme de ménage étrangère) qui, elle, a toujours été courageuse et admirable, je n'étais pas digne de vivre car je n'avais pas appris à me battre, à me défendre et à défendre ceux que j'aime. J'étais toujours le looser, le vaincu, celui ayant une mentalité d'esclave. [...] J'aurais dû trouver des mentors pour faire des choses nobles et intéressantes de ma courte existence, je n'ai pas suffisamment cherché. Pour illustrer le mieux mon comportement, vous devriez vous référer au film Taxi Driver de Martin Scorcese avec Robert De Niro. Quitte à me répéter, l'être asocial et coupé des réalités de la vie que je suis ne mérite pas de vivre.”


Audition du 27 mars, 12h00-13h30

"Je tiens maintenant à m'expliquer sur le déroulement de la soirée d'hier. Je vais vous expliquer comment cela s'est passé et pourquoi. [...] J'ai été militant de base au Parti socialiste dans les années 90, puis membre d'une association citoyenne, Réinventons Nanterre. Je suis trésorier de la Ligue des droits de l'homme de Nanterre. Toutes ces activités et fonctions, en plus des actions bénévoles effectuées auparavant, ne m'ont assuré aucune intégration sociale. Pendant un temps, elles ont pu ralentir mon projet de folie destructrice. D'autres barrages et digues étaient constitués par ma famille, par une éthique qui m'imposait de refuser le meurtre et de faire du mal, et par le souvenir de gens dignes et luttant contre le racisme et pour la démocratie que j'avais connus au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine. J'ai lutté pendant de nombreuses années contre ce projet, mais n'étant rien socialement, n'ayant plus d'ami proche, ni de famille, ni ne me battant jusqu'au bout pour des causes auxquelles je devais croire, j'ai compris que je n'avais plus ma place nulle part. Donc, je devais m'éliminer. Normalement, si j'avais été un vrai rebelle, un vrai combattant, j'aurais dû me battre pour protéger des gens contre les criminels de guerre, contre des gens prônant le racisme ou une vision totalitaire du monde. Je ne m'en suis pas donné les moyens, je n'en ai pas les capacités intellectuelles, physiques, physiologiques. J'ai toujours vécu dans une prison mentale dont j'étais le propre geôlier. Puisque j'étais devenu un mort vivant par ma seule volonté, je décidais d'en finir en tuant une miniélite locale qui était le symbole et qui était les leaders et les décideurs dans une ville que j'ai toujours exécrée. Je n'ai pas trouvé les antidotes pour me respecter moi-même et les autres. Je n'ai pas atteint un idéal d'humanisme et m'étant laissé aller au désoeuvrement et à l'échec, j'ai voulu tuer pour prendre une futile et infantile revanche sur moi-même et sur ces symboles de puissance qu'ils constituent. J'ai voulu connaître la griserie et le sentiment d'être libre par la mort. Je ne supportais plus cette mascarade de démocratie locale, sachant que moi, simple citoyen, je n'ai aucune réalité de contrôle sur ce pouvoir et que je n'étais qu'un pion par rapport aux véritables enjeux politiques et à la réalité du pouvoir, face à ces notables qui m'ont toujours pris pour un con quand je militais. [...] J'avais projeté de tuer ces gens à d'autres conseils municipaux précédents, mais j'avais encore des garde-fous moraux et des inhibitions. Pour m'en débarrasser, j'ai tout fait pour me tuer socialement, intellectuellement et affectivement : vie de vieux garçon ; aucune connaissance d'un métier dont je serais fier ; aucune expérience de construction de lien durable avec des gens, impossible d'aimer et d'être aimable [...]. Je m'étais depuis longtemps mis dans une logique de destruction. Je ne voyais pas comment changer le cours des choses même si j'avais le choix et que j'aurais dû lutter comme un fou pour la vie. [...] N'ayant rien conquis, rien à transmettre, je voulais tuer plutôt que de finir en prison, à l'hôpital psychiatrique ou comme un clochard. Il était aussi absolument nécessaire que je me supprime dans le même temps. Une de mes armes devait me servir à me suicider, le Smith and Wesson, mais j'ai été maîtrisé par les élus et les policiers. A cette occasion, j'ai reçu des coups de pied par un élu au visage et je me suis cogné moi-même la tête par terre pour me la fracasser. [...] Hier soir, j'ai quitté mon domicile à 18 heures, j'ai juste pris avec moi trois armes, deux Glock 17 et 18, et un Smith and Wesson. Pour le Smith and Wesson, j'avais prévu vingt cartouches environ et garni le barillet de six cartouches. Pour les Glock, j'avais pris plusieurs chargeurs que j'ai approvisionnés chacun de quinze cartouches de 9 mm. J'ai mis mes trois armes dans les poches intérieures et extérieures de ma parka. C'est la première fois que je venais armé à un conseil municipal. Je suis arrivé à pied à 19 heures, je me suis installé sur un siège du public au milieu de la salle. Assis à ma gauche, un élu que je connaissais de l'association Réinventons Nanterre. [...] J'ai assisté à l'ensemble du conseil et, durant tout ce temps, je me suis demandé si j'allais passer à l'action ou pas. Je ne sais pas quelle proportion idéologique et psychiatrique peut expliquer le pourquoi de mes meurtres. A la fin du conseil, toutes mes inhibitions se sont levées et j'ai compris que je devais passer à l'acte et ne pas partir sans avoir rien fait. Je n'avais plus de notion de l'heure, le public a quitté peu à peu la salle, les élus s'apprêtaient également à le faire. A ce moment-là, je me demandais encore ce que je devais faire. Dans les dernières minutes du conseil, je me suis dit, et j'ai compris que je ne pouvais plus reculer, c'était maintenant ou jamais. Je me suis levé, j'ai sorti le Glock 19 qui se trouvait dans la poche extérieure droite de ma parka. J'ai commencé par viser et ouvrir le feu sur la mairesse, madame Fraysse. J'ai visé droit devant moi, je pense l'avoir atteinte, mais je n'en suis pas sûr. J'ai agi comme un robot, je n'ai prononcé aucune parole. J'ai débuté le tir sur madame Fraysse car elle était au milieu. Je ne sais combien de fois j'ai tiré sur madame Fraysse, j'étais environ à dix mètres d'elle. [...] Je n'avais pas défini d'ordre précis dans mon exécution, je voulais tuer le plus de personnes possible, puis me tuer. Je me suis déplacé en direction de la tribune, en tirant sur tout ce qui bougeait. Je tenais mon arme dans la main droite. Je me suis déplacé en courant, en faisant le tour des sièges. Je ne visais alors personne en particulier, je visais au hasard. Je ne sais plus sur qui j'ai tiré par la suite, peut-être sur M. Laubier, le premier maire adjoint, je ne sais pas si je l'ai atteint. C'est alors que des élus ont tenté de me maîtriser. Il s'agissait de M. Perreau, élu communiste, qui m'a jeté un fauteuil. Il y avait aussi Patrice Marchal, Vincent Soulage et Laurent Elghozi, qui m'a bien ceinturé au cours de la mêlée. [...] J'ai pu tirer avec le Glock 17 car j'avais laissé échapper mon Glock 19 et je n'avais pas pu le réapprovisionner. Je n'ai pas eu besoin de chambrer le Glock 17, car je l'avais fait la dernière fois que j'étais allé aux toilettes pendant le conseil. Je ne visais pas, je tirais sur ceux qui essayaient de se mettre en travers de ma route, je ne voyais pas qui j'atteignais, je ne sais pas qui j'ai pu blesser ou tuer, je voyais seulement du sang et j'entendais des cris. [...] A un moment donné, je n'avais plus de chargeur. Là, j'ai été maîtrisé par des élus qui m'ont pris mon Smith and Wesson. J'ai essayé de m'emparer de cette arme, mais ils m'en ont empêché. C'est à ce moment là que j'ai crié que l'on me tue. [...] Je m'adressais à ceux qui me maîtrisaient en leur criant "Tue-moi, Tue-moi". N'ayant plus de chargeur dans le Glock 17, il m'était impossible de retourner l'arme contre moi. Ils me tenaient fermement. J'ai alors essayé de prendre un couteau à cran d'arrêt dans ma poche droite de pantalon pour me tuer, mais l'appariteur s'en est saisi. [...] Surtout, je ne comprends pas comment j'ai pu me rater et comment et pourquoi les élus et les policiers ne m'ont pas tué. J'estime qu'un forcené comme moi doit être abattu sans ménagement et sans scrupule. [...] La seule personne que j'ai visée intentionnellement était Mme Frayssel. Je l'ai visée pour sa qualité de maire, mais aussi car je ne la respectais pas. Pour moi, elle est l'incarnation d'une apparatchik inamovible créant un système de clientélisme et représentante typique de la grande bourgeoisie rouge hypocrite, contrôlant énormément de choses et se faisant passer pour démocrate et soi-disant proche du peuple. Pour les autres élus, j'ai agi au hasard, sans regarder ni la personne, ni l'étiquette. [...] [Il a laissé derrière lui] un livret et de l'argent sur la table de nuit de ma mère pour qu'elle ne manque de rien. Je veux mourir car je suis une chose et un déchet. A 13 h 30, je persiste et je signe. Richard Durn.”


Audition du 28 mars, 09h50

“[Richard Durn déclare maintenir] "l'ensemble des déclarations qu'[il a] faites hier [...] Non je n'avais pas de sac à dos. J'ai pris mes trois armes que j'ai placées dans les différentes poches de mon blouson. J'avais volontairement prévu de ne prendre aucun papier. A l'intérieur du porte-document, j'avais placé des feuilles de papier vierge. Je pensais éventuellement prendre des notes sur le conseil, mais finalement je n'en ai pris aucune."

[...]

"Avez-vous souvenir avoir écrit ces courriers et les avoir déposés dan A ce stade de l'audition, constatons que le nommé Durn Richard se précipite vers la lucarne du bureau et se jette dans le vide. Notre action, conjuguée à celle de notre collègue n'a pas empêché Durn de tomber."